Durant la vie d’une entreprise, de nouveaux marchés peuvent être convoités, nécessitant de réorganiser son circuit de distribution ou de chercher de nouveaux fournisseurs qui pouvaient être des concurrents auparavant.
Il est toujours possible de mettre un terme de façon unilatérale, à un contrat conclu avec un partenaire commercial (fournisseur, client, sous-traitant …).
C’est de ce principe que découle la liberté du commerce et de l’industrie et l’interdiction des contrats perpétuels.
Mais cette liberté n’est pas absolue : La rupture d’une relation commerciale est encadrée pour éviter qu’elle ne dégénère en abus.
Celui qui subit la rupture d’un contrat commercial avec l’un de ses partenaires majeurs doit disposer d’un délai de préavis d’une durée minimale pour réorganiser son entreprise et retrouver un nouveau partenaire commercial.
La menace de rupture ou la rupture brutale des relations commerciales établies, pour tenter de faire pression afin d'obtenir une baisse de prix ou un avantage sur les modalités de vente, sont des pratiques interdites par la loi.
Les textes applicables
L’article L 442-1 du code de commerce dispose :
« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;
2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
II. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
Le 1er point (I) vise à interdire et de sanctionner les clients puissants tels que les acteurs de la grande distribution, qui font pression sur leurs fournisseurs en les menaçant de les déréférencer s’ils n’acceptent pas de baisser leur prix.
De telles pressions sont illégales.
Le 2nd point (II) rappelle le principe et l’exception en matière de liberté du commerce et de l’industrie :
Il est possible de rompre un contrat de manière unilatérale, mais à condition de respecter un préavis pour permettre au cocontractant qui subit la rupture de la relation commerciale, de rebondir et reconstituer un circuit d’approvisionnement ou de distribution.
Mais la rupture des relations commerciales est fautive si elle est brutale, c’est-à-dire sans le respect d’un délai de préavis. La jurisprudence estime que la durée du préavis dépend de la durée des relations commerciales antérieures. Plus les relations commerciales ont duré, plus le préavis doit être long, dans la limite de 18 mois.
Quels sont les critères cumulatifs à réunir pour engager une action judiciaire fondée sur la rupture brutale des relations commerciales ?
En premier lieu, il faut que la relation commerciale soit « stable et établie » c’est-à-dire qu’elle doit être de longue date.
Concrètement, il doit exister un contrat ou des relations contractuelles qui durent depuis plusieurs années. Car si elle dure depuis plusieurs années, la victime de la rupture est en droit de dire qu’elle avait une croyance légitime en la pérennité de la relation commerciale, et avait organisé son entreprise notamment en fonction de cette relation commerciale stratégique.
Une relation commerciale précaire sera incarnée par des contrats sporadiques ou au coup par coup. Le caractère fluctuant des commandes caractérise l’absence de relation commerciale stable et établie et peut permettre de rompre le contrat sans préavis (Cass. Com. 27 mars 2019 n°17-18047).
Précisons qu’il existe une présomption s’agissant du caractère « établi » c’est-à-dire durable de la relation commerciale (CA Paris, 20 juin 2019, n° 17/02742).
La rupture doit être brutale
La seule baisse de l’activité, même brutale, n’est pas suffisante.
Celui qui se plaint prouver le lien entre la baisse de son activité et de son chiffre d’affaires et la rupture qui lui a été imposée par son ancien partenaire commercial (Com., 27 mars 2019, n° 17-18.676). En effet, la baisse d’activité peut avoir d’autres raisons.
Devant le Tribunal, c’est sur le demandeur que repose la charge de la preuve.
Et la responsabilité contractuelle d’un acteur économique ne sera engagée que si le demandeur à l’action judiciaire démontre l’existence d’une faute de son cocontractant, d’un préjudice subi du fait de cette faute, et d’un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice.
L’absence de préavis
Le Code de commerce exige un préavis écrit c’est-à-dire qu’il doit y avoir un formalisme minimum. Mais dès lors qu’il existe un écrit, c’est suffisant pour considérer que cet écrit est le point de départ du préavis. Il a été jugé qu’un email ou courriel est un écrit suffisant (Cass. Com. 8 décembre 2015 n° 14-18228).
En revanche, le texte est clair : si le préavis est inexistant ou insuffisamment long au regard de l’ancienneté des relations, la rupture unilatérale de la relation commerciale sera jugée brutale. Celui qui en est la victime pourra réclamer des dommages et intérêts devant le tribunal.
Quelle est la durée du préavis, pour être jugée suffisante ?
Plusieurs critères sont cumulatifs ou alternatifs pour apprécier la durée du préavis la plus juste et la plus équitable pour les deux parties au procès (Com., 20 juin 2018, n° 16-24.163 ; Com., 24 octobre 2018, n° 17-16.011, n° 17-21.807) :
- plus les relations commerciales ont duré, plus le préavis doit être long ;
- plus le volume d’activité est élevé entre les parties au procès, plus la victime de la rupture pourra se revendiquer légitimement un long préavis pour réorganiser son entreprise ;
- les activités saisonnières avec un chiffre d’affaires fluctuant sur l’année, seront traitées différemment ;
- s’il est prouvé une forme de dépendance économique entre les parties, le préavis devra être d’autant plus long ;
- dans certaines activités, les usages du commerce pourront être des références incontournables.
Ajoutons qu’il existe un plafond de 18 mois de préavis, fixé par l’article L 442-1 II du code de commerce.
Autrement dit, quelle que soit la durée et l’intensité des relations commerciales, dès lors que celui qui les rompt respecte un préavis de 18 mois, il ne devrait pas être jugé fautif.
L’exception : on peut être dispensé de respecter un préavis quand on prouve l’existence d’une faute imputable à son partenaire commercial, ou un cas de « force majeure »
C’est ce qu’affirme l’article L 442-1 du code de commerce dans son dernier alinéa.
La Cour de cassation a récemment jugé que le fait de ne pas payer les factures de son partenaire justifiait la rupture immédiate des relations commerciales, sans préavis (Cass. Com. 27 mars 2019 n° 17-16548).
Pour les juges, le non-paiement de factures est un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture commerciale avec effet immédiat.
En revanche, il a été jugé que la non-réalisation d’objectif de chiffre d’affaires, même prévu au contrat, n’est pas un motif suffisamment grave pour rompre des relations commerciales établies sans préavis (Com., 5 avril 2018, n° 16-19.923).
Quant à la notion de force majeure, elle est par définition irrésistible, imprévisible et extérieure. Autrement dit, on ne peut y échapper.
Comment obtenir une indemnisation après la rupture brutale de relations commerciales ?
C’est en principe le tribunal de commerce qui est compétent. Le contentieux doit être engagé devant le tribunal de commerce par un avocat. Saisir le tribunal de commerce implique de confier vos intérêts.
Le choix du lieu de la juridiction à saisir est fonction de plusieurs critères, mais c’est en principe le tribunal du lieu du siège social du défendeur.
Si votre fournisseur malveillant est une société étrangère, il est possible de saisir le juge en France en invoquant le fait que le contrat était exécuté sur le territoire français.
Les avocats en droit des affaires du cabinet CAMBRONNE pourront vous apporter une réponse sur ce point et vous conseillerons la stratégie procédurale la plus efficace.
L’essentiel est de disposer de preuves convaincantes que la rupture est brutale et abusive.
Il faut également justifier les préjudices qui doivent être fondés sur des chiffres d’activité, clairs et incontestables.
Les préjudices matériels et économiques sont calculés par référence à la notion de marge brute (Cass. Com., 23 janvier 2019, n° 17-26.870) :
Chiffre d’affaires HT - Coûts HT
Là encore, les avocats du cabinet CAMBRONNE vous accompagneront pour chiffrer et affiner au plus juste vos préjudices.