« Toute navigation est incertaine : prends pitié du malheureux qui a fait naufrage. »
Phocylide de Milet
En mer, la solidarité envers un navire en péril est incontestable et nécessaire. C’est pourquoi assister des personnes faisant naufrage est une obligation pour tout un chacun en mer reconnue par le Conseil d’État[i] et en droit international[ii]. Cette action est gratuite et est considérée comme un sauvetage dès lors qu’il s’agit de porter secours à des personnes. Si une personne ne satisfait pas à cette obligation de sauvetage en mer, elle pourra être sanctionnée au même titre qu’un délit de non-assistance à personne en danger pouvant entrainer 2 ans d’emprisonnement et 3700 euros d’amende[iii].
En revanche l’assistance pour sauver les biens d’un navire n’est pas obligatoire et fait plutôt partie de la logique de solidarité entre les gens de mer. Elle peut tout de même être rémunérée. L’article L.5132-3 du Code des transports indique d’ailleurs que « les opérations d’assistance qui ont eu un résultat utile donnent droit à une rémunération au profit de la ou des personnes qui ont fourni une assistance. [Cependant …] aucun paiement n’est dû en application du présent chapitre si les opérations d’assistance n’ont pas eu de résultat utile ». Deux situations sont alors envisageables : l’assistance et le remorquage.
Quelle est la différence entre assistance et remorquage ?
En droit maritime, assistance et remorquage sont deux notions distinctes qui n’entraineront pas les mêmes conséquences.
Le remorquage se définit comme « l’action par laquelle le capitaine d’un navire remorqueur accepte, à la demande du navire remorqué, d’assurer la direction et le contrôle d’un navire qui est privé de capacité de manœuvre autonome ». Il donnera alors lieu à un contrat de louage de services qui entrainera une rémunération négociée entre les deux parties. Certains contrats d’assurance prévoient la prise en charge d’un éventuel remorquage.
A l’inverse, l’assistance correspond à l’action entreprise par un navire pour assister un autre navire en danger de se perdre. C’est par cette condition de danger que seront différenciés remorquage et assistance. Peu importe où se trouve le navire, dès lors qu’il n’est plus maître de sa manœuvre et qu’il ne peut pas être réparé par ses propres moyens, il sera considéré comme étant en situation de péril[iv].
Assister oui, mais pour combien ?
A l’instar du remorquage, assister des personnes dans leur naufrage peut donner lieu à une rémunération.
Pour se voir attribuer une rémunération, le navire assistant devra dans un premier temps requérir l’acceptation de ce contrat d’assistance. Dans le cas où un appel à l’aide pour une assistance est explicitement lancé (appel Mayday), il n’y aura pas de doute sur l’éventuelle rémunération. Si cet appel n’a pas été fait, le paiement de la rémunération sera subordonné à l’acceptation, explicite ou non, de l’assistance. Pour exprimer son refus, l’assisté doit le dire explicitement. En cas de silence, il sera présumé qu’il a accepté son assistance.
Une exception à ce principe existe toutefois : dès lors que le secours est refusé de façon déraisonnable, l’assistance pourra être imposée.
Qu’en est-il de l’éventuel contrat ?
L’assistance peut alors être validée par une convention d’assistance dont les clauses seront décidées par les deux parties. Des conventions type existent comme la Lloyd’s open form, dite LOF 2000.
Dans le cas où la convention est conclue avant ou au cours des opérations, seul l’élément premier du contrat sera validé, à savoir l’accord de volonté entre l’assisté et l’assistant. Les autres éléments du contrat, comme le genre d’assistance prêtée, sa durée et le montant de la rémunération, ne pourront pas être fixés au moment de la conclusion de la convention.
Si la convention d’assistance est conclue après les opérations, alors les modalités et le montant de la rémunération seront directement fixés. Les parties devront donc s’y tenir, à moins que cette convention soit qualifiée de non équitable ou abusive par le juge. Dans ce cas-ci, ce dernier pourra modifier ou annuler la convention.
Il arrive aussi qu’aucune convention d’assistance ne soit conclue. Dans ce cas, la rémunération pourra quand même avoir lieu mais devra être légale.
Comment calculer le montant de la rémunération s’il n’a pas été fixé ?
Dans tous les cas, le montant de la rémunération variera fortement en fonction de ces biens et de leur état. C’est la règle du « no cure no pay », pas de résultat utile, pas de rémunération.
Si aucune convention n’a été conclue, ou qu’elle a été jugée non équitable ou abusive, ce sera le juge qui fixera la rémunération conformément aux critères législatifs.
L’article L.5132-3, I du Code des transports dispose que « les opérations d’assistance qui ont eu un résultat utile donnent droit à une rémunération au profit de la ou des personnes qui ont fourni une assistance ». Cet avantage a pour objectif de récompenser la personne pour le service rendu à l’assisté.
Ce à quoi est ajouté l’article L.5132-4 du Code des transports qui indique les 10 critères entrant en ligne de compte dans l’appréciation du produit total :
- La valeur du navire et des biens sauvés
- L’habileté et les efforts des assistants pour prévenir ou limiter les dommages à l’environnement
- L’étendue du succès obtenu par l’assistant
- La nature et l’importance du danger
- L’habileté et les efforts des assistants pour sauver le navire, les autres biens et les vies humaines
- Le temps passé, les dépenses effectuées et les pertes subies par les assistants
- Le risque de responsabilité et les autres risques encourus par les assistants ou leur matériel
- La promptitude des services rendus
- La disponibilité et l’usage de navires ou d’autres matériels destinés aux opérations d’assistance
- L’état de préparation ainsi que l’efficacité et la valeur du matériel de l’assistant
Si l’assistant est celui par la faute duquel l’assistance a été rendue nécessaire ou s’il s’est rendu coupable de vols, recels ou autres actes frauduleux, le montant de la rémunération pourra être diminué.
Dans tous les cas, ce montant ne pourra pas être supérieur à la valeur du navire et des autres biens sauvés, à l’exclusion des frais juridiques récupérables pouvant être dus.
Pour obtenir une rémunération, il faudra donc avoir sauvé un bien qui a un minimum de valeur. Le tribunal de commerce de Paris a d’ailleurs indiqué qu’assister un navire victime d’un incendie et devenu épave ne donnait pas droit à une rémunération[v].
Les avocats du cabinet Cambronne Avocats sont à votre disposition pour vous conseiller et vous représenter.
Qui touche et qui paye la rémunération ?
La rémunération sera répartie entre le propriétaire, le capitaine et les autres personnes au service du navire assistant en fonction de la législation du pavillon de ce navire.
Normalement, elle sera payée par les assureurs du navire assisté si ce dernier a souscrit à une assurance responsabilité, il sera alors possible d’engager la responsabilité in solidum de l’assisté et de son assureur. Si aucune assurance n’a été souscrite, la somme devra être réglée par l’assisté directement.
Assister et préserver l’environnement, c’est rémunéré ?
Une rémunération spéciale peut être instaurée dans le cas où le secours a permis de préserver l’environnement alors qu’aucun bien n’a été sauvegardé. Ceci a notamment été indiqué dans l’article 14 de la Convention de Londres du 28 avril 1989, puis repris par le Code des transports[vi].
Sera alors gratifié un assistant qui aura porté secours à un navire, et par là même, empêché une dégradation de l’environnement. La rémunération sera calculée selon les dépenses exposées mais comprendra aussi une somme équitable pour le matériel et le personnel raisonnablement utilisés dans le cadre de ces opérations. Cette indemnité spéciale pourra être augmentée mais ne devra pas représenter plus de 100% des dépenses engagées par l’assistant. Cette indemnité spéciale pourra être prise en corrélation avec une rémunération d’assistance. Néanmoins, elle sera alors calculée et ne sera versé que le montant en surplus de la rémunération initiale.
Cette rémunération spéciale peut aussi s’acquérir par le biais de la SCOPIC (Special Compensation Protection & Indemnity Clause). Ce système contractuel permet à l’assistant d’être indemnisé des frais qu’il aura engagés pour les mesures qu’il aura prises contre la pollution. Il faudra cependant qu’il en demande l’application.
En y souscrivant, ce dernier renonce à l’article 14 de la Convention de Londres. En revanche, sa rémunération couvrira au moins tous ses frais. Si l’assistance est un succès, l’assistant aura droit à une rémunération versée par l’assureur du naufragé. Dans l’hypothèse où l’opération échoue, l’assistant sera payé par le P & I Club (assureurs de responsabilité civile) sur la base de la SCOPIC. Cette méthode de calcul est basée sur un barème journalier pour chaque type de matériel employé par l’assistant au cours de l’opération.
Combien de temps ai-je pour demander ma rémunération ?
L’assistant a un délai de 2 ans à compter du jour où les opérations d’assistance sont terminées pour intenter une action en paiement.
Pour toute précision et demande relative à votre situation, contactez nos avocats du cabinet Cambronne.
[i] Conseil d’État 10-4 SSR, 27 juillet 1984, requête n°47835
[ii] Notamment dans l’article 98 de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer du 10 décembre 1982
[iii] Article L.223-1 du Code pénal
[iv] Paris, pôle 2, 2e ch., 3 novembre 2016, RG n°15/07715
[v] T. com. Paris, 13ème ch., 17 mai 2006, navire Wind Song
[vi] Article L.5132-5 du Code des transports